Tout savoir sur la refonte du label Minergie-ECO : Interview avec Sébastien Piguet

21.8.2023

En septembre, tous les standards de construction suisses sont révisés. Minergie-ECO en fait partie. Pour comprendre les enjeux, les nouveautés et les avantages du label mis à jour, Sébastien Piguet, membre de la direction d'ecobau, répond à nos questions.

De quand datait la dernière mise à jour du complément ECO de Minergie ?
Tous les deux ans, on procède à des petites mises à jour. Mais les dernières évolutions importantes dataient de 2011 (introduction du calcul de l’énergie grise) et 2018.

Pourquoi était-elle nécessaire ??
À un moment donné, les petites mises à jour ne suffisent plus, il faut une révision globale. Il y avait aussi la volonté commune de réviser la « famille » des labels suisses du bâtiment de manière coordonnée, pour créer des synergies. Mais cela tient surtout à une prise de conscience : le changement climatique en cours engage la responsabilité du secteur de la construction. Pour ecobau, il était important de mettre à disposition un label actualisé à la hauteur de ces enjeux. C’est ce que nous voulons atteindre avec cette révision, en proposant aux maîtres d’ouvrage (MO) et aux planificateurs un produit qui donne la direction à suivre et les priorités en matière de santé, d’économie circulaire, d’écologie, d’énergie et de changement climatique.

Comment s’est déroulée la phase d’élaboration de cette refonte ?
En 2021, nous avons commencé à échanger avec Minergie, qui partage avec notre association le label Minergie-ECO. Ce fut également l’occasion de sonder les utilisateurs et les MO sur leurs besoins et leur satisfaction. Cette étape a abouti à des objectifs de révision, ainsi qu’un cahier des charges. Dès 2022, le travail a porté sur le concept général et la structure du label. En collaboration avec des experts externes, nous avons défini les principaux thèmes, la manière de les aborder et les autres changements nécessaires. Le complément ECO a la spécificité de couvrir des domaines très variés : santé, économie circulaire, protection du climat, écologie. Nous avions ainsi besoin de réunir les compétences pour chaque domaine, sans perdre la vision d’ensemble.

Ensuite, le travail de détail a commencé : choix de priorités des thèmes aboutissant à leur conservation ou à leur abandon, création de nouvelles prescriptions, réorganisation de l’ensemble du catalogue, adaptation et test du système d’évaluation, mise à jour de la procédure de certification, etc.

Qui était impliqué dans le processus ? Et comment les décisions ont-elles été prises ?
Notre association est responsable du contenu de la partie ECO du label. Le comité ecobau a validé chaque étape importante après avoir tenu compte des remarques de notre partenaire Minergie. Dans les phases initiales, c’est un groupe de travail interne (ndlr : Kerngruppe), qui a géré l’essentiel du projet. Dès le travail de détail sur les prescriptions, le groupe technique d’accompagnement du label (ndlr : Fachgruppe Minergie-ECO) était plus impliqué. Ce groupe est composé des offices de certification Minergie-ECO et de représentants des deux associations.

Quelles sont les principales nouveautés dans le domaine écologie ?
Dans le domaine Écologie, l’obligation de respecter une valeur limite d’énergie grise (des matériaux) est désormais accompagnée d’une exigence similaire pour les émissions grises de CO2. En parallèle, l’adaptation au changement climatique est un nouveau thème du label. On a aussi défini de nouvelles prescriptions pour renforcer le thème de l’économie circulaire : favoriser les ressources locales, valoriser le réemploi, sensibiliser les acteurs au gaspillage potentiel de ressources en cas de déconstruction d’un bâtiment pour le remplacer par un neuf.

Et dans le domaine santé ?
Dans le domaine Santé, pour lutter contre la sédentarité, on vise à valoriser les projets qui conduisent naturellement les usagers à se déplacer grâce à leur force musculaire. Nous avons soutenu l’intégration de ce thème, car il représente un réel enjeu de santé publique. Il a sa place dans un label pour des bâtiments écologiques et sains, et nous sommes convaincus que les MO ont un intérêt à l’intégrer dans le développement de leurs projets.

Est-ce qu’il y a d’autres nouveautés, non spécifiques à un domaine ?
Nous avons également ajouté dans les deux domaines Santé et Écologie une prescription « Innovation », qui est facultative, mais qui permet de compenser l’insuffisance d’autres prescriptions par une approche plus innovante sur l’un ou l’autre des domaines, ce qui donne plus de flexibilité dans le développement du projet. Le caractère innovant peut porter sur des aspects techniques, sociaux, de processus, ou être lié à une réponse particulièrement exemplaire à une prescription du label. Ce nouveau thème offre donc une acceptation assez large. L’innovation ne doit cependant pas avoir d’impact négatif sur d’autres thèmes de durabilité.

Au niveau de la structure, nous avons réaffecté certaines prescriptions et nous avons renommé les thèmes (anciennement « critères ») qui composent chaque domaine. Une autre évolution notable porte sur la méthode d’évaluation : nous avons remplacé les réponses oui/non, utilisées actuellement pour les critères qualitatifs, par un système de points plus facile à appréhender, et similaire au SNBS.

Parmi ces changements, lesquels trouvez-vous les plus prometteurs ?
C’est bien sûr assez subjectif. Mais je commencerais par le renforcement des exigences, évoqué auparavant, dans le domaine du climat. Avec le nouveau complément ECO, combiné aux labels Minergie, nous offrons aux MO un instrument attrayant de mise en œuvre de leurs stratégies climat. Et cela non seulement au niveau de l’exploitation de leurs bâtiments, mais aussi de leur construction.

La place donnée au réemploi dans le label est aussi source de solutions prometteuses. La mise en oeuvre du réemploi dans le bâtiment n'en est qu'à ses débuts, et cela s'avère complexe. C'est pourquoi il est d'autant plus important qu'un label incite à faire les premiers pas en récompensant les projets qui s’attellent concrètement à ce sujet. 

A titre personnel, je mentionnerais encore les nouvelles prescriptions pour lutter contre la sédentarité. Au premier abord, cet objectif ne semble pas concerner les architectes. Mais cela pose en réalité des questions très concrètes de conception. Exemples : comment faut-il placer la cage d’ascenseur pour la rendre accessible à celles et ceux qui en ont besoin, tout en encourageant au maximum l’usage des escaliers ? Est-il possible de placer la cafeteria de manière à faire bouger les usagers sans impacter sa fréquentation ? Quels sont les aménagements extérieurs qui facilitent l’accès piétonnier autour de l’immeuble ou le stationnement des vélos ?

Quant aux prescriptions sur l’innovation, je suis certain qu’elles permettront de faire émerger des idées créatives pour rénover et construire en répondant mieux et/ou plus efficacement aux enjeux de la durabilité.

Minergie-ECO est-il plus exigeant qu’avant ? Et dans quels domaines ?
Globalement, je pense que le niveau d’exigence est stable. Même s’il est plus exigeant sur certains aspects (par ex. les émissions de CO2 grises). En effet, la méthode d’évaluation a évolué vers une plus grande flexibilité. Avant, il fallait atteindre au moins la moitié des points dans chacun des 3 critères des domaines Santé (Lumière du jour, Protection contre le bruit, Climat intérieur) et Écologie (Concept du bâtiment, Matériaux et processus de construction, Énergie grise). Maintenant cette exigence est remontée au niveau des domaines. Concrètement, il sera donc possible de compenser un thème (anciennement « critère») plus faible par d’autres du même domaine.

Malgré cela, il ne sera pas possible de négliger entièrement un thème. En effet, les prescriptions d’exclusion, qui sont pour l’essentiel maintenues, sont réparties dans la majorité des thèmes et fixent des exigences incontournables pour tout projet visant la certification.

Pour soutenir les stratégies climatiques des MO, le renforcement progressif des exigences vers l’objectif Zéro émission nette de CO2 gris a aussi été étudié. Cette trajectoire de réduction s’avère complexe à déterminer. Le concept n’est pas encore mûr pour annoncer des valeurs. Cette intention sera mise en action lors des prochaines mises à jour d’ECO.

Il paraît que des exigences ont été supprimées. Lesquelles, et pour quelles raisons ?
Dans l’ensemble, il y avait la volonté d’épurer le label, en supprimant certaines prescriptions devenues moins prioritaires par rapport aux enjeux actuels.

La prescription « Mesures de l’air intérieur (CO2) », par exemple, n’a pas été maintenue. Nous avons considéré que ce point était suffisamment couvert par le volet Minergie du label, qui demande un concept de ventilation efficace. Autre exemple : la prescription « Fumer à l’extérieur du bâtiment » qui visait à encadrer cette activité, a été abandonnée. Nous pensons que cela relève plus du bon sens des concepteurs et des usagers de faire attention à cet aspect, et qu’il n’y a plus besoin de le soutenir avec un label.

On parle aussi de procédure simplifiée. Qu’est-ce qui a changé ?
Au niveau de la procédure, on a essayé de simplifier les justificatifs requis, là où c’était possible. La procédure simplifiée existante accordée aux projets de moins de 500 m2 de SRE (surface de référence énergétique) est dorénavant possible jusqu’à 1’000 m2 de SRE. On a aussi fusionné certains critères traitant du même thème, pour apporter plus de lisibilité. Par ailleurs, la nouvelle plateforme internet devrait être plus conviviale pour les utilisateurs. L’ensemble de ces mesures devrait contribuer à minimiser les honoraires d’accompagnement par des spécialistes et renforcer l’attractivité du label.

Des simplifications ont aussi été apportées pour les rénovations. Dans quel but ?
Dans la version actuelle, la portée de certaines prescriptions ou le niveau d’exigence est déjà réduit en cas de projets de rénovation (par exemple pour la lumière naturelle, il faut démontrer au minimum que la situation existante n’est pas dégradée par le projet). Cette approche a été étendue à d’autres prescriptions pour lesquelles cela faisait sens. Ecobau essaie ainsi de rendre plus facile l’accès au label pour les projets de rénovation. En effet, si rénover est plus complexe à la base, c’est un excellent choix en matière de ressources. On conserve la structure porteuse, voire une partie de l’enveloppe, on préserve donc les 2/3 de l’énergie et du CO2 gris du bâtiment d’origine.

Sur le site de minergie.ch, on lit ceci : « Les structures du standard ECO et du SNBS se rapprocheront, tant au niveau des termes que du concept d’évaluation ». Quel est l’intérêt de ces synergies et qu’est-ce qui distingue encore ECO de SNBS ?
La coordination avec le label SNBS Bâtiments était nécessaire, car une part importante des critères de ce label était reprise de Minergie-ECO et le sera encore dans la nouvelle version. Pour l’énergie grise, les émissions grises de CO2des matériaux, l’économie circulaire et le climat intérieur sain, SNBS a repris les critères d’ecobau. Cela va maintenant aussi dans l’autre sens pour quelques critères, tels que l’adaptation au changement climatique.

Ces synergies sont utiles pour les professionnels du bâtiment, car ils peuvent être confrontés aux deux labels. Le fait que ces labels aient un socle commun permet à ces professionnels de maîtriser plus rapidement leur mise en œuvre. À moyen terme, cela devrait permettre d’améliorer le rapport qualité-prix d’une certification pour les MO.

Mais chaque label garde son positionnement propre. La volonté, avec Minergie-ECO, est d’aborder la construction durable avec des choix de priorités assez forts, dans le but d’avoir un label relativement simple à mettre en œuvre. Ces choix de priorité s’expriment aussi avec les prescriptions d’exclusion ECO, qui constituent un noyau minimum commun à tous les bâtiments labellisés.

Dans SNBS, si les prescriptions d’exclusion ECO sont retenues, elles n’ont pas le caractère exclusif (il est possible de ne pas les respecter). En résumé, avec SNBS, on couvre un plus large spectre de la durabilité que Minergie-ECO. Mais ce dernier fixe, dans les thèmes qu’il a priorisés, des exigences minimales plus élevées que SNBS.

Matthieu Chenal, 7 août 2023